La pollution des feux girondins déferle sur le nord de la France
Rapport d’observation – Contributions d’ ATOLL (Hauts-de-France)
Juillet 2022
Rédaction par P. Goloub et M. Boichu
avec les contributions de
P. Goloub, M. Boichu, Q. Hu, S. Crumeyrolle, E. Bourrianne, I. Popovici, Y. Chang, M-F. Sanchez (LOA)
V. Riffault, J. F. de Brito, E. Tisson (IMT)
Au cours de cette période caniculaire de Juillet 2022 affectant l’ensemble de la France, des masses d’air chargées en particules désertiques mais également en particules issues de feux ont survolé le territoire métropolitain et ont été détectées par différents équipements de télédétection (information colonne et en profil) et de mesures in situ jusque dans la région des Hauts-de-France.
La plateforme web interactive AERIS-ICARE/LOA VOLCPLUME facilite le regroupement et l’analyse conjointe de mesures satellitaires et d’observations multi-stations issues de réseaux au sol, incluant les mesures de télédétection de type photométrique (AERONET) ou LIDAR (ACTRIS-FR) ainsi que les observations de surveillance de la qualité de l’air.
Figure 1 : (A) Pollution de l’air à proximité de la source des feux en Gironde à partir des observations photométriques de la station AERONET d’Arcachon (composition colorée MSG/SEVIRI en fond) du 10 au 22 Juillet 2022. (B) Pollution à longue distance, enregistrée progressivement à différentes stations du réseau de surveillance de la qualité de l’air (INERIS-LCSQA-ATMO France), remontant le territoire métropolitain vers le Nord (concentration au sol en particules fines PM2.5). Illustrations issues de la plateforme AERIS-ICARE/LOA VOLCPLUME, PI: M. Boichu, LOA.
En ce mois de juillet caniculaire, l’Europe est soumise à de fortes températures, facteur à l’origine du déclenchement de multiples incendies de forêt en Espagne, au Portugal, en France, Grèce, etc. Les masses d’air en provenance du sud apportent leurs cortèges de poussières minérales désertiques et transportent les particules carbonées (BBA, Biomass Burning Aerosol) émises par ces incendies. Les observations photométriques issues de la station AERONET d’Arcachon, à proximité des sources de feux girondins émettrices de particules fines carbonées, enregistrent une augmentation progressive de l’épaisseur optique d’extinction des aérosols (AOD) à partir du 13 juillet 2022, date de début des incendies, qui culmine le 18 juillet 2022 (AOD à 500 nm de 1.87) vers 10h30 UTC (Fig. 1A). Cette épaisseur optique est essentiellement produite par une abondance de particules fines (série temporelle de l’AOD du mode fin non illustrée ici). Lors de ce pic en épaisseur optique, la composition colorée MSG/SEVIRI (18 Juillet 2022 12h UTC) permet de visualiser le panache de feux girondin qui se déplace vers l’Ouest et survole Arcachon.
Cependant, au cours de plusieurs journées, les observations photométriques indiquent également des coefficients d’Angström inférieurs (~0.9) à la valeur moyenne (~1.3) qui ne peuvent être associés à la présence de particules BBA uniquement. Ainsi, ces résultats suggèrent la coexistence de plusieurs types d’aérosols sur la colonne qui seront confirmés par les mesures LIDAR, présentées ci-dessous. L’analyse multi-stations des données de surveillance de la qualité de l’air à l’aide la plateforme AERIS-ICARE/LOA VolcPlume montre un front de pollution, associé à des pics de la concentration en particules fines PM2.5 (rayon < 2.5 ?m). Ces valeurs, excédant largement les niveaux de fond, sont enregistrées à une distance croissante au cours du temps, tout d’abord à Bordeaux (jusqu’à 352 ?g/m3), puis Chizé, Poitiers, Blois, Rambouillet avant d’atteindre les Hauts-de-France à des centaines de kilomètres de la source de feux (Fig. 1B).
Pour se donner un aperçu sur la présence en aérosols sur le territoire et de leur variabilités depuis le début du mois de juillet 2022, on pourra consulter, dans l’annexe (fig A4), les séries temporelles de l’AOD pour 8 stations AERONET françaises, réparties des Hauts-de-France jusqu’à la Méditerranée.
Les mesures du micro-LIDAR automatique METIS de la plateforme ATOLL, à Lille/Villeneuve d’Ascq dans les Hauts-de-France, indiquent des situations de mélanges entre poussières désertiques et particules BBA, au sein de couches d’atmosphère comprises entre ~800 m et ~5000 m d’altitude. La série temporelle (17/07-00h au 19/07-24h) est montrée sur la figure 2.
Figure 2 : Les séries temporelles des profils de rétrodiffusion atmosphérique à 532 nm (en haut) et 808 nm (au milieu), ainsi que la dépolarisation atmosphérique à 532 nm (en bas) sont présentées du 17 au 19 Juillet 2022. Les séries temporelles de l’AOD et du coefficient d’Angström (AERONET-ATOLL) sont ajoutées sous les 3 images.
Du 17 au 19 juillet 2022, période peu affectée par les nuages, on observe clairement à Lille la présence de couches d’aérosols complexes et distribuées de la couche limite jusqu’à 5000-6000 m d’altitude, avec des concentrations variées pendant cette période. La distribution verticale du paramètre de dépolarisation atmosphérique, très variable, indique que plusieurs types d’aérosols sont présents dans des couches distinctes, mais probablement aussi, des mélanges au sein de même couche. Ce résultat est confirmé par l’analyse des observations du LIDAR Mie-Raman-Fluorescence LILAS qui opère également sur la plateforme ATOLL. Les figures 3 (a,b,c) présentent les séries temporelles de rétrodiffusion et dépolarisation atmosphériques du signal LIDAR à une longueur d’onde supplémentaire, à savoir à 1064 nm. L’avantage de cette longueur d’onde est d’avoir un accès quasi direct à la diffusion particulaire. De plus, les données de nuit permettent la mesure de fluorescence induite qui, associée à la dépolarisation atmosphérique, est très puissante pour discriminer le type d’aérosols présents.
Figure 3 : Time series of attenuated atmospheric backscatter at 1064 nm (top), atmospheric depolarization at 1064 nm (middle) and atmospheric induced fluorescence at 460 nm (bottom), as observed by LILAS multiwavelength lidar at ATOLL from 17 to 19th July 2022.
Comme mesuré avec le micro-lidar METIS, les valeurs des signaux lidars LILAS indiquent une grande variabilité temporelle et verticale des aérosols du 17 au 19 juillet. La période nocturne allant du 18/07 ~18h-minuit du 18/07 au 19/07 jusqu’à 06h a été étudiée plus quantitativement dans la suite.
La figure 4 présente les profils des propriétés optiques moyennes entre 0 et 3 h le 19 juillet 2022.
Figure 4 : Profils optiques moyens 19 juillet 2022, 01-03 H UTC indiquant la présence de trois couches d’aérosols distinctes dans trois gammes d’altitudes, dénommées L1, L2 et L3 (source Q. Hu, système de traitement des observations du Lidar Mie-Raman-Fluorescence , AUSTRAL, LOA).
La variabilité observée de ces propriétés optiques (extinction spectrale, rétrodiffusion spectrale, dépolarisation spectrale, fluorescence) indique la présence de différents types d’aérosols, en terme de forme, de dimension et de propriétés physico-chimiques, qui sont distribués sur trois couches distinctes, dans trois gammes d’altitude: la couche L3 la plus haute (3500-4500 m), la couche intermédiaire L2 (2500-3000) et la couche L1 la plus basse (1500-2000 m).
La figure 5 présente les distributions en taille des particules, leur indice de réfraction et leur albédo de diffusion simple (Single Scattering Albedo: SSA) déterminés au sein de chacune de ces couches à partir de l’inversion des propriétés optiques restituées à partir des inversions des Mie-Raman de LILAS.
Figure 5 : A gauche, distribution en taille volumique moyenne pour les trois couches L1, L2 et L3 identifiées. A droite, albédo de diffusion simple (SSA) pour ces mêmes couches (source Y. Chang, algorithme BOREAL, LOA).
Les indices de réfraction moyens des particules présentes dans ces trois couches sont 1.53-0.005i, 1.54-0.015i et 1.56-0.006i, respectivement. Ces valeurs suggèrent un mélange de poussières désertiques et de particules de fumée (BBA) dans la couche L1 tandis que la couche L2 ne contiendrait que des particules fumée et la couche L3 uniquement des poussières désertiques.
La distribution de taille est très variable dans ces différentes couches. La couche L1, la plus basse, n’inclut que des particules fines (rayon de ~ 0.2 ?m) tandis que la couche la plus haute L3 ne comprend que des particules plus grossières (rayon modal de ~ 1 ?m). La couche L2, à des altitudes intermédiaires, semble indiquer quant à elle un mélange de ces deux types de particules aux propriétés optiques et de taille distinctes. Les distributions en taille intégrées sur la colonne, comme AERONET permet de les déterminer, montre la présence de 2 modes (figure A2, en Annexe) pour le 18 Juillet voire trois modes pour la fin de journée du 19 juillet.
Les propriétés d’absorption mesurées à travers la variation spectrale du SSA sont typiques des aérosols de type BBA (couche L2) avec une forte variation spectrale décroissante et une forte absorption. La couche L3, quant à elle, est caractérisée par un niveau d’absorption bien plus faible, mais fort dans l’UV ce qui est caractéristique de l’aérosol désertique. Enfin, la couche L1 apparaît la moins absorbante, est caractéristique d’un mélange comme l’atteste la distribution en taille. La détermination des indices de réfraction permettant de calculer le SSA est moins précise dans ce cas de figure. Ce cas de figure nécessiterait une analyse plus approfondie.
Pour résumer, l’analyse permet d’identifier, pour des altitudes > 800 m, trois couches d’aérosols aux propriétés bien distinctes. L’origine géographique des particules de fumée est cependant difficile à préciser, pour le moment, car les sources sont multiples, certaines en région (feux de champs), d’autres nationales (feux de forêts en Gironde, près de Rambouillet, etc..) et enfin européenne (feux de forêts en Espagne et au Portugal). La trajectoire des masses d’air arrivant à Lille, le 19 juillet vers 2H UTC (figure A1, en annexe), indique un passage au-dessus de l’Afrique Saharienne, pour la couche L3. Les deux couches L1 et L2 ont, quant à elles, survolé la péninsule ibérique et ont pu se charger en aérosols carbonés de type BBA.
De manière complémentaire, des mesures in situ, en surface, ont aussi été réalisées en continu depuis la plateforme ATOLL. Les figures 6, 7, 8 et 9 présentent la variabilité au sol, du coefficient de diffusion des aérosols (à rapprocher de l’extinction déduite du lidar), de la concentration en carbone suie (BC issue de la combustion “fuel fossil” et de bois), et de la concentration en particules PMx.
Il est à noter que les mesures FIDAS indiquent une augmentation très importante de la concentration en PM10 le 20 juillet au soir tandis que l’augmentation de la concentration en particules plus fines PM2.5 est enregistrée quelques heures plus tard (Sur site c’est seulement une heure plus tard…) . Ce décalage temporel s’observe à différentes stations de la région par analyse des données de qualité de l’air effectuée à l’aide la plateforme VolcPlume. Cet écart suggère ainsi une dynamique atmosphérique et des sources en aérosols complexes (Fig. 7).
Figure 6 : Variabilité du coefficient de rétrodiffusion spectrale des particules mesurées in situ sur la plateforme ATOLL (source S. Crumeyrolle, LOA). Arrêt temporaire des mesures pour cause de chaleur excessive le 19/20-juillet.
Figure 7 : Variabilité de la concentration en PMx mesurée in situ au sol sur la plateforme ATOLL (FIDAS, source V. Riffault, IMT).
Figure 8 : Variabilité de la concentration en PM1 mesurée in situ sur la plateforme ATOLL (in situ, SMPS, source S. Crumeyrolle). Arrêt temporaire des mesures pour cause de chaleur excessive le 19/20-juillet.
Figure 9 : Variabilité de la concentration en carbone suie (BC) mesurée in situ sur la plateforme ATOLL (source J. F. de Brito, IMT). Arrêt temporaire des mesures pour cause de chaleur excessive le 19/20-juillet.
L’augmentation de la concentration en carbone suie (BC) issue de la combustion de bois Wood Burning) observée dans la nuit du 18 au 19 juillet semble aussi coïncider avec un signal de fluorescence, un peu plus fort au plus bas du profil LIDAR (figure 3c), à une augmentation des PM (figs. 7 et 8) et du coefficient de rétrodiffusion particulaire (fig. 6).
Annexe : figures complémentaires
Figure A1 : rétro-trajectoires des masses d’air arrivant à Lille le 19/07 à 02h UTC au sein des 3 couches L1 (~1800m), L2 (~2700m) et L3 (~4000m).
Figure A2 : Distributions taille “colonne” fournies par AERONET pour la station ATOLL, les 18 et 19 juillet (level 1.5).
Figure A3: profils rétrodiffusion, extinction, du coefficient d’Ansgtröm et de dépolarisation mesurés à partir de METIS
Brest (MF) Lille (ATOLL)
Rambouillet (ACCROSS) Palaiseau (SIRTA)
Arcachon Aubiere (COPPD)
Momuy (MF) OHP
Figure A4: Séries temporelles AOD spectrale pour plusieurs stations AERONET nationales
Liens avec AERIS :
- Plateforme “Lidar dashboard”
- Plateforme “Volcplume”
- Platefome “ASCM” (non fonctionnelle au 24 juillet)